Bonjour,
C'est peut-être un peu long... ou peut-être pas...
Episode 6 :
Il fallait que je respire, que je prenne sur moi. Ne pas céder à cette rage sourde qui montait, ne pas laisser sortir les mots qui se massaient dans ma bouche, prêts à jaillir comme des uppercuts. S’en prendre à Kevin, c’était s’en prendre à un chef, pire que ça, à un petit chef, du genre à vous mener la vie dure sans plus jamais vous lâcher. Peut-être sa femme s’était-elle barrée hier, ou alors, il avait eu droit à un redressement fiscal, peu importe. Aujourd’hui, il semblait d’une humeur de chien, gueulait sur tout le monde, prenait un malin plaisir à ne pas nous laisser une seconde de répit. Plus de secteur, de rayons attitrés, tout le monde devait être partout. Résultat, c’était le bordel, la désorganisation la plus complète.
- Putain, il faut qu’on s’en débarrasse… une flaque d’huile ou une avalanche de boîtes de conserve sur sa gueule, mais il faut qu’on trouve un truc avant que je le tue ce @#$%& ! me fit Fabien, visiblement dans le même état que moi.
- Mais grave, je suis même prêt à le dénoncer pour harcèlement sexuel si il faut, ajouta Karim qui nous rejoignait pour un petit conseil de guerre dans la grande allée du fond. D’ailleurs, fit-il soudain plus bas, en parlant de harcèlement sexuel, Miss gros nichon droit devant les gars.
En à peine deux secondes, notre mauvaise humeur s’était évaporée et ne restait plus que trois couillons au sourire béat. Putain, ce qu’elle était belle, avançant droit sur nous en poussant son caddie, ses talons claquant sur le carrelage au moins deux fois moins vite que les battements de mon cœur. A cet instant, et pour la première fois, elle m’a fait penser à une chatte, ses yeux émeraudes braqués sur nous comme si nous n’étions que trois pauvres moineaux. Oui, elle nous toisait, et oui, c’est à nous qu’elle adressait ce sourire incandescent capable de nous faire oublier Kevin, voir même le magasin tout entier. Ce rouge vif sur ses lèvres, c’était la première fois aussi, un truc à vous faire déglutir en vous demandant pourquoi cette couleur parle directement à certaines parties de votre corps.
- Bonjour.
Ce fut le seul mot qu’elle prononça en passant près de nous, mais pourvu qu’il sorte de sa bouche, je l’aurais volontiers échangé contre tout un dictionnaire. On lui avait répondu d’un seul homme, une vrai petite chorale, et en un seul et unique mouvement parfaitement chorégraphié, on s’était tous retournés pour la suivre du regard alors qu’elle s’éloignait.
- J’y crois pas, siffla Karim entre ses dents, elle a pas mis de soutif.
- Merde, maugréai-je, tu vas pas recommencer…
- Non, vraiment, il a raison, m’arrêta Fabien, et c’est juste canon.
Etais-je le seul à n’avoir pas réussi à détacher mes yeux des siens, à rester subjugué par ces lèvres au nappage carmin ? Il semblait bien, et maintenant, je m’en voulais d’avoir loupé ça, de ne pas avoir eu le même privilège que les autres.
- Canon ? Bandante tu veux dire ? Elle me fout la trique moi cette meuf… regardes moi ça comme elle roule du cul, si ça se trouve, elle a pas de culotte non plus...
- Putain, mais t’es qu’un crevard, faut te soigner, lui lançai-je, excédé.
- Un crevard ? Mais mec, c’est toi qui est pas normal… cette meuf, elle est méga bonne, et elle passe son temps à nous mettre ses nichons ou ses porte-jarretelles sous le nez. Y’a vraiment que toi pour faire comme si t’avais vu une apparition de la vierge à chaque fois qu’elle passe.
Fabien ne disait rien, mais à son regard, je comprenais bien qu’il partageait, au moins en partie, l’avis de Karim. Dépité, je m’inclinais :
- Bon, j’y vais avant que l’autre trou duc nous tombe dessus.
- Ouais ouais, railla Karim, dis plutôt que tu vas essayer de retrouver Miss gros nichons, juste pour vérifier qu’on te raconte pas de conneries.
Je ne pris même pas la peine de répondre. De toute façon, pouvais-je lui dire qu’il avait raison ? Oui, ça m’intriguait, et oui, cette fille était à la fois diablement sexy et sacrée. Que pouvais-je y faire si je la voyais, la plupart du temps, comme un bijou et pas comme un objet sexuel ? D’accord, elle m’avait avoué que son petit jeu était tout à fait conscient et j’avais perçu dans ses yeux une espièglerie qui m’avait mis des papillons dans le ventre. Pourtant, cet aveu n’avait rien eu de vulgaire ou de salasse, au contraire. J’en étais certes resté soufflé, mais quelque part amusé aussi, à la fois admiratif, charmé, et fier de la connaître, un tout petit peu, d’avoir une place dans ce jeu. Karim pouvait bien en rajouter des caisses, n’empêche que c’était à moi qu’elle s’était confiée, notre secret à tous les deux.
J’étais sur sa piste, l’avais entraperçue au bout d’un rayon quand Kevin me tomba dessus, et m’envoya à l’opposé du magasin. Quand je la recroisai, plantée au beau milieu de l’allée des vins, elle ne me vit même pas, trop occupée qu’elle était à sourire à son téléphone pour un selfie qui m’aurait fait tuer père et mère pour le recevoir. Bon sang, je ne comprenais même pas pourquoi son téléphone n’était pas parti en auto-combustion. Moi, je restai sidéré par la joie qui émanait de cette fille, la jubilation qui semblait l’animer aujourd’hui. Elle s’amusait, c’était évident. Pour qui était cette photo ? Un amoureux ? Un mari ? Un autre joueur ? La lame de la jalousie s’enfonça loin dans mon ventre, vrilla lorsqu’elle prit un second cliché penchée dans son chariot, faisant mine de chercher quelque chose. Qui fait ça en fixant son téléphone avec des yeux si malicieux ? Moi, je me régalais de cette vue plongeante, de ce sillon délicieux, de l’ondulation de ses seins lorsqu’elle se redressa. Karim était un petit merdeux, mais je devais bien reconnaître qu’il avait l’œil. A chacun des mouvements de la belle le tissu de sa robe s’animait, sa poitrine voluptueuse semblant dotée d’une vie propre sous l’étoffe. Étanche au monde extérieur, elle pianotait sur l’écran de son smartphone, captivée, et moi, je la contemplais, tout aussi subjugué. Là, tout de suite, je voulais la voir marcher, admirer le roulis indécent de ses seins qui naguère m’étaient apparus figés dans une arrogance divine, et se retrouvaient aujourd’hui totalement libre sous cette robe fluide. Mon esprit divaguait déjà, abreuvé de pensées inarrêtables lorsque mon audacieuse inconnue reprit sa route dans la direction opposée. Merde, on allait jouer à cache-cache semblait-il, et je n’étais même pas sûr de faire encore partie du jeu. Plusieurs fois, je l’aperçus à la dérobée, le téléphone toujours à la main, le sourire vissé aux lèvres, et les joues peut-être un peu plus colorées qu’à son arrivée. Mais voilà, il y avait un petit chef qui nous mettait une pression folle, avait réellement basculé dans le harcèlement, et je ne parvenais pas à la fixer. Pourtant, mon inconnue, elle, s’amusait visiblement, vivait sa vie comme un jeu, loin de tout stress, de toute pression, terriblement libre.
Néanmoins, à 10h30, alors que je mettais la dernière touche à mon chef-d’œuvre, un rayon pâtes et riz tiré à quatre épingles, ses talons résonnèrent derrière moi. Oui, je reconnaissais à présent son pas mesuré, à la fois nonchalant et décidé, une vraie fierté. Je n’avais plus envie de me retenir, plus le temps de le faire, et quand je relevai la tête, mes yeux se jetèrent littéralement sur cette poitrine dansant librement sous sa robe, s’abreuvèrent à ce décolleté en mouvement. Cette vision me poursuivrait des jours, ne me laisserait plus aucun répit. A cet instant, j’aurais pu être taxé de voyeur éhonté, peut-être même de vicieux, mais ma belle aux yeux verts souriait toujours, se laissant admirer sans aucune gêne perceptible, n’essayant même pas d’échapper à l’indiscrétion de mes yeux. Passant près de moi, j’eus même droit à un « Bonne journée » où ne pointait aucun reproche, un « bonne journée » qui sonna presque coquin à mes oreilles bourdonnantes. «Regardes comme elle roule du cul » avait dit Karim, et je regardai. C’était probablement ses talons, ou cette démarche tranquille, mais oui, ses hanches tanguaient, et c’était beau, d’une sensualité exacerbée. Ces quelques secondes magiques auraient suffit à rattraper sept heures d’enfer ici. Mais parfois, la vie vous en donne un peu plus, un cadeau qu’on n’attendait pas, une carotte qui vous fait avancer coûte que coûte. C’est précisément ce qui se passa quand ma belle inconnue stoppa brusquement son chariot et doucement se baissa pour attraper ce qui semblait être sa dernière course du jour.
Lentement, le bas de sa robe glissa sur sa cuisse, remonta encore et j’arrêtai soudain de respirer. Cette dentelle rouge en haut du nylon noir, c’était indescriptible, sophistiqué et scandaleux à la fois. Ce rouge,sur ses lèvres comme sur ses bas, me soufflait des histoires torrides, dessinait des scènes inavouables déjà prêtes à se jouer sous mon crâne. Encore un instant, et la robe remontait de quelques centimètres de plus pour parfaire le tableau, dévoiler la pointe d’une jarretelle assortie. Comment ne pas l’imaginer sans sa robe, comment ne pas me l’approprier, jolie inconnue aux yeux verts dans son porte-jarretelle rouge. Mon cœur allait probablement bondir de ma poitrine en fracturant mes côtes. Et alors ? Il y avait bien pire que de mourir devant une telle merveille.